1er convoi : une claque d’inhumanité
Sid – Octobre 2015
Premier voyage, première confrontation avec la dure réalité : Quand la dernière douane serbe nous a enfin permis de partir (à condition de ne pas toucher à la marchandise jusqu’au lendemain, car il fallait encore la dédouaner) nous nous sommes dirigés sans plus attendre vers la ville de Sid où notre contact Misha nous attendait. En passant nous en avons profité pour dévaliser 3 boutiques d’alimentation afin de distribuer des vivres aux réfugiés.
Nous roulons de nombreuses minutes sur une route de campagne pour rejoindre le camp de Sid, (à la frontière Serbo-Croate). Il fait nuit, il n’y a aucune lumière, nous essayons de distinguer au loin des tentes,quelque chose qui ressemble à un camp. Le vent souffle fort, nos ventres se serrent et nos cœurs s’accélèrent au rythme de la pluie. Nous nous enlisons dans un champ au milieu de nul part. Je ne me souviens pas avoir déjà vu un lieu aussi hostile. Sur notre droite, nous passons un premier bus, il pleut trop, nous n’arrivons pas à voir si il y a des gens à l’intérieur, puis un 2ème bus, un 3ème et là enfin une première tente. Nous essayons, malgré la pluie, de distinguer s’il y a quelqu’un à l’intérieur mais il n’y a personne. Une femme en imperméable nous fait signe de circuler et de nous parquer plus loin. Nous sortons des voitures, il fait noir, on ne voit rien, aucune lumière. C’est effrayant, nous sentons à ce moment là que les ténèbres nous invitent à les rejoindre. Nous prenons la nourriture et nous dirigeons vers le « camp ». L’adrénaline commence à monter. Nous marchons quelques mètres, nous y sommes. La pluie coule sur nos yeux, nous avons du mal à distinguer la configuration du lieu…
Un chemin de boue défini par quelques tentes, les unes à côté des autres. La première est vide, il y a deux tables et des palettes par terre. La 2ème tente est fermée, la troisième aussi, nous nous dirigeons vers la tente de Misha, où elle et ses volontaires préparent des petits verres de thé chaud, à côté une caisse avec quelques pommes. Misha nous explique que les réfugiés arrivent en bus (avant ils étaient à pied mais l’état a mis en place des bus, pour éviter les tragédies sur leurs routes). Ils viennent de Presevo, un camp d’urgence entre la Macédoine et la Serbie, là-bas ils doivent attendre un bus ou marcher 7,5 kil pour arriver au camp. Puis il y a 8 heures de queue pour les enregistrer, certains ont la chance de manger ( 10% aux dernières nouvelles) et ils sont embarqués dans des bus pour le « camp » où nous sommes, à Sid (qui est uniquement un camp de transit, ils y restent maximum 1h ou jusqu’à 3 quand il y a beaucoup de monde). Misha nous explique que certaines nuits sont plus calmes que d’autres, cela dépend de l’enregistrement à Presevo, elle nous dit de rester en observateurs et que peut-être ils n’auront pas besoin de nous. On décide alors qu’une équipe pourrait aller chercher un hôtel et que la deuxième les rejoindra bientôt.
A ce moment, un bus arrive et l’on voit des silhouettes d’hommes se diriger vers nous, certains nous saluent, d’autres ne sont déjà plus dans cette réalité, leur visage est vide… Le sol commençait à s’ouvrir sous nos pas. On se rapproche du bus et là on voit un enfant, il doit avoir 4 ans, puis une petite fille, pas plus de 5 ans, un homme sort du bus avec un bébé dans les bras, il pleut de plus en plus… Un couple arrive avec deux enfants handicapés. Ils ont froid, ils tremblent. Nous ne nous parlons pas mais nous pensons tous la même chose; nous nous regardons, je crois qu’à ce moment nous appelons silencieusement à l’aide. Nous avons des centaines de cartons stockés dans les camions bloqués par la douane jusqu’au lendemain. A quel moment nous avons décidé d’aller les chercher ? On ne sais plus. Tant pis. Ces enfants sont nos enfants,nous avons vu nos fils, nos filles, dans chaque visage.
Nous nous sommes retrouvés sous la pluie à chercher dans le noir, un bonnet, une écharpe, un pantalon. Un petit garçon est en short, cette fille n’a qu’un pull fin et trempe. Nous sommes seuls au monde, nous ne pensons plus, le diable s’est invité ce soir là…Sandra crie que les 2 enfants handicapés sont en body avec juste une fine couverture, la pluie tombe sur nos visages, nous ne savons plus si ce sont des larmes ou de l’eau mais nous n’avons pas le temps de penser à cela…
L’enfant que Sandra avait pris n’avait pu être changé depuis des jours. Elle raconte: Il avait de la merde séchée et liquide jusqu’au nombril. Des cloques et des plaies ouvertes, ses fesses saignent et lui il ne dit rien. … mais putain!!!!
Les minutes passent et nous retournons chercher des cartons, une dame enfin nous propose une tente, nous y installons nos cartons… Nous sommes tous là… Nous nous regardons, nous ne disons rien. Cette nuit ne peut pas être pire. Personne n’est parti à la cherche d’un d’hôtel. Nous savons déjà que cette nuit restera gravée pour toujours.